Comment appeler une femme qui écrit ? En cette Journée internationale des droits des femmes, Balsamo entre dans la bataille de la féminisation des noms de métiers et vous donne son point de vue.
Le choix de féminiser ou non les mots en dit long sur une époque. Plus qu’une simple affaire linguistique, ignorer le féminin ou décider que « le masculin l’emporte sur le féminin » relève d’une vraie représentation du monde et d’un choix politique.
Pendant longtemps, les femmes étaient censées faire œuvre créatrice uniquement en mettant au monde des enfants. Si elles étaient un tant soit peu artistes, pas question qu’elles en fassent profession ! En musique, Clara Schumann est reléguée dans l’ombre de son mari Robert, tout comme Fanny Mendelssohn pourtant aussi douée que son frère Felix. Et en littérature, que dire de Colette qui se fait piquer ses textes par son mari Willy, sans parler de toute les oubliées de l’histoire, à commencer par Marie de France.
La longue évolution de l’Académie française
Les femmes alors sont si peu nombreuses à accéder à la création intellectuelle qu’on ne se pose pas trop la question de la féminisation du mot « auteur ». Ou plutôt, au XVIIe siècle, alors que le mot « autrice » remonte à l’Antiquité, forgé sur le latin auctrix, l’Académie française – composée uniquement d’hommes – le rejette jusqu’à l’éradiquer au XVIIIe. Les femmes qui se piqueraient d’écrire sont ainsi « écrivains », « auteurs » ou à la rigueur « femmes de lettres ». C’est aussi l’Académie qui impose au Grand Siècle la règle du « masculin l’emporte sur le féminin », contre l’usage ancien de l’accord de proximité.
Au XXe siècle, alors qu’au Québec par exemple, la féminisation est encouragée à la fin des années 1970, l’Académie française s’y oppose farouchement à plusieurs reprises. En 2014, par exemple, elle rejette les formes « telles que professeure, recteure, sapeuse-pompière, auteure, ingénieure, procureure, etc., pour ne rien dire de chercheure, qui sont contraires aux règles ordinaires de dérivation et constituent de véritables barbarismes ».
Ce n’est qu’en 2019, dans un rapport sur la féminisation des noms de métiers, que l’institution reconnaît que l’époque a changé et que pour s’y adapter, elle ne voit désormais aucun obstacle de principe » à féminiser les noms de métier ou de titres.
Autrice vs auteure
Même si on n’avait pas attendu sa décision pour féminiser « auteur », il reste aujourd’hui des réticences à utiliser ce mot, parfois par les intéressées elles-mêmes. Chez Balsamo, on le préfère à auteure dont le e, imperceptible à l’oreille, continue à invisibiliser les femmes. Quant aux arguments souvent invoqués contre le mot « autrice », ils semblent facilement contestables :
– c’est un barbarisme/un néologisme : non, « autrice » remonte à l’Antiquité, comme le montre la passionnante enquête de la chercheuse Aurore Evain. Et on partage ces mots de l’écrivaine Audrey Alwett : « moi je pense que ce qui est barbare, c’est de vouloir effacer la moitié de l’humanité : les femmes. »
– c’est moche à l’oreille : ah bon ? et « actrice » alors ?
– franchement, vous n’avez pas d’autres chats à fouetter ? si, si, on préférait aussi parler d’autre chose, mais s’il y a depuis des siècles polémique sur ce genre de sujets, c’est bien qu’il y a un enjeu !
– le vrai féminisme c’est de m’appeler auteur : on est d’accord que le talent n’a pas de genre, mais en quoi cela minimiserait le talent de féminiser son métier ?